De la justification « naturelle » du libéralisme

L'un des postulats non formulés du libéralisme, c'est que certains d'entre nous sont meilleurs que d'autres, et qu'en toute logique, ils doivent avoir le droit d'exprimer librement leur supériorité, et en recevoir les bénéfices, c'est à dire tout rafler.

Quant à ceux qui sont inférieurs...

Les défenseurs de cette idéologie expliquent que c'est dans l'ordre naturel des choses, les hommes sont égoïstes et prennent toujours tout ce qu'ils peuvent prendre, même si cela veut dire ne rien laisser pour les autres. Et c'est normal, c'est dans le sens de l'évolution ! Puisque ainsi, ils assurent leur survie en prévenant toute pénurie ultérieure, pour eux et leur famille. L'idéologie libérale serait donc la seule idéologie réaliste et souhaitable, puisqu'elle va dans le sens de la nature humaine...

Heureusement que cette idéologie n'existait pas dans les premiers temps de l'homme, sinon l'espèce n'aurait jamais été sélectionnée. En effet, l'homme étant faible comparativement aux prédateurs de l'époque, ce n'est qu'en la jouant collectivement qu'il a réussi à passer les caps de la sélection naturelle. Ce qui sous-entend que cet égoïsme considéré comme une fatalité n'est peut-être pas si naturel que ça. C'est d'ailleurs ce que déclarent les sociologues qui ont fait des études poussées sur les comportements humains. Mais bon... On sait bien que les sociologues n'y connaissent rien sur la nature humaine, et que les détenteurs de la vérité sont les économistes dont le génie a permis de théoriser le dogme libéral.

Si vraiment l'égoïsme était un comportement naturel, personne ne deviendrait infirmier ou infirmière, pompier, voir professeur par les temps qui courent, personne ne donnerait son temps dans une association, le téléthon rapporterait zéro euro. Si l'égoïsme était un comportement naturel, les survivants de notre espèce seraient cachés dans des grottes, à l'abri des fauves.

Ce qui nous fait croire que l'égoïsme est un comportement naturel, c'est que la minorité qui s'accaparent la richesse des autres est très agressive et active, alors que l'immense majorité des gentils a tendance à se laisser faire, par pacifisme, et peut-être aussi un peu par passivité. De fait, les égoïstes remplissent notre champ de vision, les inégalités et injustices dont ils sont les responsables apparaissent omniprésentes.

Mais à chaque fois, l'histoire en est témoin, vient un moment où les égoïstes prennent trop, et où le peuple se rebelle, et ça finit en insurrection, révolution et autre événement désagréable du même acabit.

L'idéologie libérale, c'est juste l'idéologie des salauds. Force est de constaté qu'ils ont pour l'instant gagné la bataille des idées, mais il ne tient qu'à nous de faire pencher la balance de l'autre côté. Et si on veut, pour une fois, éviter le bain de sang, il serait peut-être plus intelligent que les gentils se mobilisent au lieu d'attendre que ça se passe. Il y a longtemps, une bande d'illuminés grecs a inventé un truc qui s'appelle la démocratie. Certes, cela ne fonctionne pas très bien pour l'instant, mais si tout le monde se mettait à voter contre l'égoïsme, les salauds ne pourraient plus rester au pouvoir. Mais ce n'est pas une chose qui se fait en une fois, genre « on verra ça aux prochaines élections ». C'est une chose qui se prépare et se travaille, demande de la mobilisation et un peu d'effort, au quotidien. C'est maintenant qu'il faut descendre dans la rue lorsqu'il y a un appel à manifester, c'est maintenant qu'il faut en parler autour de soi et convaincre les fatalistes que les choses peuvent encore changer.

Bon, d'accord, ça demande du courage.

Mais on n'a jamais rien gagner sans se battre... à part l'immense privilège de se faire tondre par les chantres du libéralisme décomplexé.